CE, 10 juillet 2020, Société Lacroix Signalisation, n° 420045, à publier au Recueil
A la suite d’une condamnation pour entente par la Cour d’appel de Rouen, le tribunal administratif de Rouen, saisi par le département de la Seine-Maritime, avait, par trois jugements, annulé les marchés qu’il avait conclus avec la société Lacroix Signalisation et l’avait condamnée à restituer au département l’intégralité des sommes versées dans le cadre de ces marchés.
Par un arrêt du 22 février 2018, la cour administrative d’appel de Douai avait réformé ces trois jugements en ne faisant droit qu’aux conclusions subsidiaires du département de la Seine-Maritime tendant à obtenir une indemnité pour réparer le surcoût lié aux pratiques anticoncurrentielles de la société, et elle a condamné cette dernière à verser au département les sommes de 1 525 409,34 euros, 818 534,84 euros et 206 930,26 euros, tout en rejetant le surplus des conclusions des parties.
En cassation, le Conseil d’État juge qu’en cas d’annulation du contrat en raison d’une pratique anticoncurrentielle imputable au cocontractant, ce dernier doit restituer les sommes que lui a versées la personne publique mais peut prétendre en contrepartie, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement des dépenses qu’il a engagées et qui ont été utiles à celle-ci, à l’exclusion, par suite, de toute marge bénéficiaire.
L’arrêt précise que si, en cas d’annulation du contrat, la personne publique ne saurait obtenir, sur le terrain quasi-délictuel, la réparation du préjudice lié au surcoût qu’ont impliqué les pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime, dès lors que cette annulation entraîne par elle-même l’obligation pour le cocontractant de restituer à la personne publique toutes les dépenses qui ne lui ont pas été utiles, elle peut, en revanche, demander la réparation des autres préjudices que lui aurait causés le comportement du cocontractant.
En effet, rappelons que le cocontractant de l’administration dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre sur le terrain extracontractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité. Les fautes éventuellement commises antérieurement à la signature du contrat sont sans incidence sur son droit à l’indemnisation au titre de l’enrichissement sans cause, sauf en cas de dôle (CE, section 10 avril 2008, Decaux et département des Alpes-Maritimes, req. ns 244950, 284439 et 248607 : Rec. CE, p. 151).
En ce qui concerne la compétence du juge, rappelons que les litiges nés à l’occasion du déroulement de la procédure de passation d’un marché public relèvent, comme ceux relatifs à son exécution de la compétence du juge administratif, que ces litiges présentent ou non un caractère contractuel.
Ainsi, le litige ayant pour objet l’engagement de la responsabilité d’une société en raison d’agissements dolosifs susceptibles d’avoir conduit la personne publique à contracter avec elle à des conditions de prix désavantageuses et tendant à la réparation d’un préjudice né des stipulations du contrat lui-même et résultant de la différence entre les termes du marché effectivement conclu et ceux auxquels il aurait dû l’être dans des conditions normales relève de la compétence des juridictions administratives, alors même qu’il met en cause une méconnaissance des règles de libre concurrence et non d’une faute contractuelle (CE, 19 décembre 2007, Société Campenon-Bernard, req. n° 268918,269280, 269293 : Rec. CE, p. 50).
Eric GINTRAND
Avocat associé