CE, 27 mars 2020, ACENAS et D…, req. n° 426623, à mentionner aux tables du Recueil
L’Association contre l’extension et les nuisances de l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry (ACENAS) et Mme A… avaient saisi le Premier ministre d’une demande tendant à la communication de l’intégralité du dossier relatif à la cession au secteur privé de la participation majoritaire de l’État dans le capital de la société Aéroports de Lyon, notamment « les pièces de la mise en concurrence, la réponse des candidats, le choix du candidat, le cahier des charges et toute pièce se rapportant aux conditions de la vente des actions ».
La CADA avait donné un avis favorable à la communication des documents sollicités, « sous réserve de l’occultation des informations protégées par le secret industriel et commercial, en l’espèce les mentions et données relatives à la situation économique et financière des entreprises candidates, notamment les bilans, comptes de résultat et les éléments relatifs au chiffre d’affaires et au niveau d’activité, ainsi que les données révélant les stratégies commerciales, procédés techniques et savoir-faire de ces sociétés ».
A la suite à cet avis, le commissaire aux participations de l’État de l’Agence des participations de l’État (APE) avait communiqué aux requérantes le cahier des charges de la procédure de cession, les cinq avis rendus par la Commission des participations et des transferts entre mars et octobre 2016, notamment celui du 27 juillet 2016 qui présente les projets industriels et commerciaux des deux acquéreurs candidats, ainsi que l’arrêté du 3 novembre 2016 qui fixe les modalités de transfert au secteur privé de la participation majoritaire de l’État au capital de la société Aéroport de Lyon et précise le prix par action retenu. L’APE a cependant indiqué qu’il ne lui était pas possible de communiquer les offres des candidats au motif qu’elles étaient protégées par le secret industriel et commercial.
En cassation le Conseil d’État a été amené à préciser les hypothèses dans lesquelles le juge doit ordonner la production des documents faisant l’objet du litige, sans communication à l’autre partie.
Selon l’arrêt, le juge administratif a la faculté d’ordonner avant dire droit la production devant lui, par les juridictions compétentes, des documents dont le refus de communication constitue l’objet même du litige, sans que la partie à laquelle ce refus a été opposé n’ait le droit d’en prendre connaissance au cours de l’instance.
Il ne commet d’irrégularité en s’abstenant de le faire que si l’état de l’instruction ne lui permet pas de déterminer, au regard des contestations des parties, le caractère légalement communicable ou non de ces documents ou d’apprécier les modalités de cette communication.
Dans le cas où les différents éléments d’information que doit comporter un document administratif sont définis par un texte, notamment un cahier des charges ou par les documents d’une consultation, le juge administratif, saisi d’un litige relatif au refus de communiquer, peut, sans être tenu d’en ordonner la production, décider, eu égard au contenu des informations qui doivent y figurer, s’il est en tout ou partie communicable.
En revanche, lorsque le contenu d’un document administratif n’est défini par aucun texte, le juge ne saurait au seul motif qu’il est susceptible de comporter des éléments couverts par un secret que la loi protège, décider qu’il n’est pas communicable, sans avoir ordonné sa production, hors contradictoire, afin d’apprécier l’ampleur des éléments protégés et de communiquer les éléments après leur occultation.
Par ailleurs, la communication d’un document contenant des informations auxquelles l’intéressé a accès ainsi que des éléments non communicables peut être refusée s’il en résulte pour l’administration une charge excessive eu égard à l’intérêt que représente la communication du document partiellement occulté.
En l’espèce, il ressortait des documents et en particulier des annexes 5 et 6 du cahier des charges, intitulées respectivement » contenu des offres indicatives » et » contenu des offres fermes « , que ces documents devaient comporter des informations relatives notamment au prix et à » la structure d’acquisition » ou à sa » structure financière « , au » projet industriel, stratégique et social » du candidat, y compris » les principaux axes de sa politique « , notamment en termes de » développement du trafic » ou » d’extension des capacités « , les moyens mobilisés, le montant des investissements annuels envisagés, le calendrier proposé pour le transfert de la participation, ainsi que la description précise des accords industriels ou de partenariat que le candidat conclurait à compter du transfert .
L’annexe 5 des cahiers des charges précisait en outre que le candidat devait présenter une analyse précise des risques concurrentiels susceptibles de résulter du transfert de la participation.
Ainsi, dès lors que les éléments d’information que devaient comporter les offres des candidats étaient ainsi précisément définis, le Conseil d’État juge que le tribunal administratif n’a, eu égard au contenu de ces différents éléments, entaché son jugement ni d’erreur de droit ni d’inexacte qualification juridique des faits en jugeant, sans ordonner au préalable la production des offres, que le nombre des actions mises en vente et le prix global des offres des entreprises en concurrence étaient les seuls éléments communicables de ces documents, tous les autres étant couverts par le secret industriel et commercial.
En revanche, il juge que le tribunal administratif a entaché son jugement d’une erreur de droit en jugeant légal, sans ordonner au préalable leur production, le refus de communication du contrat de vente et de l’engagement d’investissement signés par le candidat retenu au seul motif que ces documents contenaient nécessairement certains éléments protégés par le secret industriel et commercial, alors que, ainsi que cela ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis, le contenu de ces documents n’avait fait l’objet d’aucune définition préalable.
Pauline BAGHDASARIAN
Avocat associé