Cet article fera partie des Mélanges en l’honneur du professeur
Michel Verpeaux, notamment président de l’AFCDL, dont la parution est prévue en 2020, aux éditions Dalloz .
L’expression « parité » signifie égalité ou similitude entre des éléments de même nature, de même qualité (Littré) ; elle exprime l’appartenance à un même ensemble, sans ignorer les distinctions. Le concept a été utilisé en ce sens lors des débats qui, au moment de la mise en place du statut général et des statuts spécifiques à chaque fonction publique (lois de 1983 et 1984), ont porté sur la question de savoir jusqu’où les fonctions publiques, territoriale et hospitalière, pouvaient ou devaient s’inspirer d’un modèle unitaire (celui de la fonction publique étatique) ou s’en affranchir pour que soit reconnu leur particularisme. Des choix politiques ont été faits, comportant suivant les époques plus ou moins de parité ou de spécificité, qui ont été traduits dans
l’ordre normatif.
Parallèlement à cette parité générale et fluctuante, une forme particulière de parité, sans réelle filiation avec celle-ci, est restée constante. Consacrée par la jurisprudence administrative à partir de textes législatifs déterminés, elle a, à la fois, un sens normatif précis et une large application qui caractérisent un véritable principe juridique. Il s’agit du principe qui inspire, notamment, la première phrase de l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984[1] et qui « fait
obstacle à ce que des collectivités territoriales ou des établissements hospitaliers puissent attribuer à leurs agents titulaires ou non titulaires des
rémunérations qui excéderaient celles auxquelles peuvent prétendre les agents de l’Etat occupant des fonctions ou ayant des qualifications
équivalentes »[2]. Un tel principe de plafonnement ou de limitation des rémunérations est donc également applicable à la fonction publique hospitalière, mais c’est de la seule fonction publique territoriale dont il sera question ici.
Alors que l’affirmation par la jurisprudence administrative de ce principe de parité des fonctions publiques n’a pas varié dans son énoncé, une décision récente du Conseil constitutionnel[3], ou plutôt une certaine interprétation qui a pu en être faite, semble revenir sur une interrogation qui paraissait tranchée. Celle de savoir si le principe de parité exprime autre chose que la norme qui interdit aux personnes publiques locales d’attribuer à leurs agents des rémunérations ou des avantages qui excéderaient ceux que l’Etat accorde à ses fonctionnaires placés dans une situation comparable.
Si c’était le cas, on n’aurait plus affaire au même principe juridique. Issu de textes législatifs, consacré par la jurisprudence administrative comme un principe juridique, le principe de parité a été précisé dans sa compréhension et dans son extension jusqu’à ce qu’une récente décision du Conseil constitutionnel interroge à nouveau sur sa véritable signification.
I-L’AFFIRMATION DU PRINCIPE DE PARITE
Inscrite dans des textes législatifs successifs, l’idée de parité a été consacrée par le juge administratif qui lui a conservé le même sens, de limitation ou de
plafonnement des rémunérations des fonctionnaires locaux. La continuité de l’idée de plafonnement dans la loi
1)La règle selon laquelle la rémunération des agents locaux ne doit pas être supérieure à celle des fonctionnaires de l’Etat a une origine budgétaire. Elle
est inscrite à l’article 78 de la loi du 31 décembre 1937 portant budget général pour l’année 1938 : « la rémunération allouée par une
collectivité locale à l’un de ses agents ne pourra, en aucun cas, dépasser celle que l’Etat attribue à ses fonctionnaires remplissant une fonction
équivalente » [4].
Postérieurement codifiée (article 514 CAC puis article L 413-7 du code des communes), cette limitation n’a pas été reprise dans la loi du 26 janvier 1984 mais le premier alinéa de l’article 15 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 indiquait (jusqu’à son abrogation en juillet 1987) que « les fonctionnaires appartenant à des corps comparables de la fonction publique de l’Etat et de la fonction publique territoriale bénéficient de rémunérations identiques ».
2)Depuis la loi n° 87-519 du 13 juillet 1987, l’article 88 dispose que : « les fonctionnaires territoriaux qui exercent des fonctions équivalentes à
celles des fonctionnaires de l’Etat bénéficieront de rémunérations au maximum identiques ». Une même limitation est issue de la loi n° 90-1067 du 28
novembre 1990 : « l’assemblée délibérante de chaque collectivité territoriale ou le conseil d’administration d’un établissement public local fixe, par ailleurs, les régimes indemnitaires dans la limite de ceux dont bénéficient les différents services de l’Etat ».
Cette première phrase du premier alinéa de l’article 88 ne changera plus jusqu’à nos jours.
3)Toutes
ces formules législatives successives expriment la même prescription : les rémunérations des fonctionnaires territoriaux ne peuvent, au mieux, qu’être
équivalentes à celles des fonctionnaires de l’Etat. Depuis que l’idée de corps comparables entre fonction publique de l’Etat et fonction publique territoriale a été abandonnée avec l’abrogation en 1987 de la disposition de l’article 15 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, ce plafonnement s’effectue au moyen d’une comparaison entre les corps de l’Etat et les cadres d’emplois de la fonction publique territoriale, réalisée par le décret n° 91-875 du 6 septembre 1991, dont l’annexe comporte précisément un tableau des équivalences des grades relevant des corps et des cadres d’emplois comparables et dont l’article 1er rappelle la règle de parité, entendue comme une norme de plafonnement des rémunérations.
La confirmation par le juge administratif d’un principe de plafonnement
L’arrêt d’assemblée du 2 décembre 1994 (CE n° 147962, Préfet de la région Nord-Pas de Calais, préfet du Nord ) évoque, pour la première fois, « le
principe de parité entre les agents relevant des diverses fonctions publiques dont s’inspire l’article 88 de la loi du 26 janvier 1988 ». La
jurisprudence précédente du Conseil d’Etat affirmait, à la fois, l’inexistence d’une norme de parité [5] entendue comme une règle d’alignement sur les avantages accordés aux fonctionnaires de l’Etat et l’inapplicabilité de l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984, tant que ne serait pas pris le décret d’application[6] : « L’existence d’une telle règle (de parité) ne résulte d’aucune disposition législative en vigueur à la date du décret attaqué, ni d’aucun
principe général ». A partir de 1994 le principe de parité devient un principe jurisprudentiel dont l’article 88 précité constitue une manifestation.
II- LA DETERMINATION JURISPRUDENTIELLE DE LA COMPREHENSION ET DE L’EXTENSION DU PRINCIPE DE PARITE
Par un double mouvement, le juge administratif a délimité la compréhension du principe et étendu le périmètre de son application.
Le principe de parité exprime seulement une limitation
Jusqu’à l’intervention de la loi du 13 juillet 1987, les agents de la fonction publique territoriale et leurs organisations syndicales ont pu prétendre s’appuyer sur la disposition de l’article 15 de la loi statutaire du 13 juillet 1983, qui affirmait que pour des corps comparables les fonctionnaires des deux fonctions publiques « bénéficient de rémunérations identiques », pour réclamer les mêmes avantages que ceux de la fonction publique de l’Etat. La suppression de cette disposition en 1987 retire toute légitimité à une telle revendication. Il ne reste de la parité que le principe de limitation, ou de plafonnement, qui interdit aux collectivités territoriales d’accorder à leurs agents des avantages excédant ceux que l’Etat attribue à ses fonctionnaires.
Dans un considérant de principe, le Conseil d’Etat détermine la portée du principe de parité [7] : « L’article 88 de la loi (du 26 janvier 1984) interdit seulement aux collectivités territoriales d’attribuer à leurs agents des avantages financiers, directs ou en nature, constituant des compléments de rémunération qui excéderaient ceux auxquels peuvent prétendre les agents de l’Etat soumis aux mêmes contraintes ». Cette formulation est reprise, en des termes plus explicites, en 2009 [8] : « Le principe de parité entre les fonctions publiques fait seulement obstacle à ce que les collectivités territoriales puissent attribuer à leurs agents des rémunérations ou des avantages équivalents qui excéderaient ceux auxquels peuvent prétendre les agents de l’Etat occupant des fonctions ou ayant de qualifications équivalentes ». Les cours administratives d’appel confirment cette directive unique, y compris tout récemment [9] : « le principe de parité implique seulement que les collectivités territoriales ne peuvent faire bénéficier leurs agents de rémunérations supérieures à celles des fonctionnaires de l’Etat exerçant des fonctions similaires ».
Ce que n’est pas le principe de parité
En décidant que le principe de parité est seulement un principe de plafonnement des rémunérations, le juge administratif écarte, d’une part, toute
interprétation impliquant une obligation d’alignement des rémunérations et des avantages entre les fonctions publiques et, d’autre part, toute extension à des éléments de statuts étrangers aux rémunérations.
1)Non seulement le principe de parité n’interdit pas qu’une délibération subordonne le bénéfice d’un régime indemnitaire à des conditions plus restrictives que celles qui sont applicables aux fonctionnaires de l’Etat [10] mais il n’emporte aucune obligation de faire, de la part des collectivités
territoriales. Le principe de parité n’a « ni pour objet ni pour effet d’obliger ces collectivités territoriales et groupements à accorder à leurs
agents les mêmes avantages que ceux qui sont attribués aux agents de l’Etat placés dans des situations équivalentes » : ainsi pour la
concession d’un logement de fonction[11]. Cette absence d’obligation, résultant de l’acception restreinte et précise du principe
de parité, vaut également pour les agents de l’Etat qui seraient mis à la disposition des collectivités ou établissements publics locaux[12].
Le principe de parité ne concerne pas non plus les éléments statutaires étrangers aux rémunérations et n’oblige pas le pouvoir réglementaire à opérer un alignement du statut territorial sur le statut étatique. Aussi, il n’impose pas que les possibilités d’intégration à l’issue d’un détachement dans un autre corps ou cadre d’emplois offertes aux corps étatiques, soient étendues aux cadres d’emplois d’un niveau comparable de la fonction publique territoriale[13]. Aucun principe général, ni aucune disposition de la loi du 26 janvier 1984 n’impose, pour l’élaboration du statut des professeurs qui enseignent dans les écoles territoriales d’art, d’assurer la parité entre les deux fonctions publiques [14]. Le principe de parité « n’a pas pour conséquence que le pouvoir réglementaire serait tenu de prévoir des règles d’organisation du travail analogues dans les trois fonctions publiques »[15]. Le Conseil d’Etat[16] affirme « qu’il n’existe pas de principe d’homologie qui ferait obligation au pouvoir réglementaire d’harmoniser les règles statutaires dans les différentes fonctions publiques, notamment celles relatives aux conditions dans lesquelles s’exerce le droit à la formation tout au long de la vie ».
Le principe de limitation est étendu à l’ensemble des compléments de rémunération. Le juge administratif a considérablement étendu le périmètre du principe de parité au moyen de la notion de complément de rémunération.
Le plafonnement des rémunérations des agents territoriaux, par rapport à celles des fonctionnaires de l’Etat, ne se pose pas en pratique pour les traitements principaux puisqu’ils se voient appliquer la même grille indiciaire. L’ancien article 15 de la loi du 13 juillet 1983 le disait expressément : « il est établi un tableau de classement des corps, grades et emplois sur une grille commune à la fonction publique de l’Etat et à la fonction publique territoriale ». Cette disposition a disparu avec la loi n° 87-529 du 13 juillet 1987 qui a supprimé la comparabilité des corps entre les deux fonctions publiques pour la remplacer par une équivalence des corps et des cadres d’emplois. Mais elle est au fond inutile puisque l’article 20 de la même loi précise toujours, pour les fonctionnaires des deux fonctions publiques, que « le montant du traitement est fixé en fonction du grade de l’agent et de l’échelon auquel il est parvenu, ou de l’emploi auquel il a été nommé ». Il n’y a pas non plus de problème particulier pour le supplément familial et l’indemnité de résidence, directement calculés au moyen des mêmes formules dans les deux fonctions publiques. C’est la notion de complément de rémunération qui a permis à la jurisprudence administrative d’étendre le principe de plafonnement au régime indemnitaire et aux avantages en nature.
L’interdiction de dépasser les rémunérations accordées par l’Etat (qu’il s’agisse de leur existence, de leur montant ou de leurs conditions d’attribution) est affirmée pour chaque type d’indemnité susceptible d’être allouée aux fonctionnaires territoriaux. On se contentera de donner ici quelques exemples, parmi beaucoup d’autres relatifs au régime indemnitaire. Une collectivité territoriale ne peut attribuer à ses agents une prime qui n’existe pas au profit des fonctionnaires de l’Etat assurant des fonctions équivalentes. Est contraire au principe de parité, le versement d’une prime de fonction informatique à des agents territoriaux qui ne remplissent pas, comme ceux de l’Etat, les conditions fixées par décret[17]. Méconnait le principe de parité la délibération qui ne limite pas l’attribution de la prime de travaux aux seuls agents participant effectivement aux travaux, comme le prévoit le texte de référence pour les agents de l’Etat[18]. En attribuant l’indemnité de sujétion spéciale des puéricultrices territoriales, un conseil général ne peut placer ses agents dans une situation plus favorable que celle des agents de l’Etat du corps de référence[19]. La prime d’encadrement éducatif versée à des psychologues territoriaux ne respecte pas le principe de parité s’ils ne sont pas affectés, comme les agents de l’Etat, dans un certain type d’établissement comportant des sujétions particulières[20]. Une prime forfaitaire accordée à tous les agents n’ayant eu aucune journée de congé de maladie, dont ne bénéficient pas les fonctionnaires de l’Etat, méconnait le principe de parité[21].
Avantages en nature, avantages indirects
Dans l’exercice de la compétence qui leur est reconnue par les dispositions de l’article 21 de la loi du 28 novembre 1990, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, « doivent se conformer au principe de parité entre les agents relevant des diverses fonctions publiques dont s’inspire l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984 » ; « ils ne peuvent par suite légalement attribuer à leurs agents des prestations, fussent-elles en nature, venant en supplément de leur rémunération, qui excéderaient celles auxquelles peuvent prétendre les agents de l’Etat occupant des emplois soumis aux mêmes contraintes ». C’est notamment le cas des logements de fonction assortis de la gratuité des prestations d’eau, d’électricité et de chauffage, gratuité dont ne bénéficie pas un agent de l’Etat logé dans les mêmes conditions[22]. En raison du principe de parité, un conseil général ne peut accorder à ses agents une prise en charge des tickets restaurants, pour une somme supérieure à celle qu’accorde l’Etat à ses agents[23]. Des prêts sans intérêts accordés par un conseil général à ses agents constituent des compléments de rémunération soumis au principe de parité[24]. L’article 21 précité de la loi du 28 novembre 1990, donne compétence aux organes délibérants pour accorder aux agents occupant un emploi fonctionnel un logement, un véhicule et des frais de représentation. Lorsque, au titre de ces derniers, le versement d’une somme forfaitaire est dispensé de la production de justificatifs, il constitue un complément de rémunération, « soumis comme tel au principe de parité dont s’inspire l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984 »[25].
La frontière est celle qui sépare les compléments de rémunération et les prestations d’action sociale, lesquelles ne sont en principe pas soumises au principe de parité. Quelques décisions écartent sur cette base l’application du principe de parité mais la différence entre complément de rémunération et prestation d’action sociale n’est pas toujours évidente. Sont des compléments de rémunération et non des prestations d’action sociale les sommes attribuées à l’ensemble du personnel, à l’occasion d’évènements tels que les vacances, la fin de l’année, un départ en retraite, un mariage,…sans considération des situations (grade, emploi, manière de servir, situation sociale, économique ou familiale) : ils méconnaissent le principe de parité parce que les agents de l’Etat de bénéficient pas de tels avantages[27].
Parfois, le juge administratif, faisant preuve de pragmatisme, ne se pose pas la question de la qualification (complément de rémunération ou prestation d’action sociale) et fait échapper un avantage au principe de parité, en raison du faible montant de celui-ci : voir l’attribution exceptionnelle de colis de Noël aux agents d’un syndicat intercommunal[28].
Enfin, il faut tenir compte des dérogations législatives. Ne sont pas soumis au principe de parité, le régime indemnitaire de certains cadres d’emplois de la fonction publique territoriale en l’absence de corps équivalents dans la fonction publique de l’Etat (police municipale, garde champêtres), les avantages collectivement acquis, l’intéressement collectif.
III-LES AMBIGUITES DE LA DECISION QPC DU 13 JUILLET 2018
En précisant l’unicité (seulement une limitation) du sens de la norme qu’il prescrit et en lui attribuant un vaste champ d’application, le juge administratif a donné au principe de parité la rigueur nécessaire à l’existence d’un réel principe juridique [31] qui ne se confond pas avec la vaste et vague notion de parité dont il avait été débattu au moment de l’élaboration des statuts des fonctions publiques territoriale et hospitalière. Ainsi précisément déterminé, le principe de parité n’encourt ni le reproche d’être un principe « à géométrie variable »[32] , ni d’être un principe qui « se délite »[33], ni celui d’être « moribond »[34], qualifications qui ne s’expliquent que par l’ampleur qui lui a été à tort attribuée et que le juge administratif a très tôt contredite.
C’est pourtant de nouveau cette confusion que semble induire la décision du Conseil constitutionnel du 13 juillet 2018 en plaçant sous le même vocable de parité, deux normes bien différentes : à la fois une interdiction de dépasser ce qui est prévu pour les agents de l’Etat et une obligation de faire en s’alignant sur la structure dualiste du nouveau régime indemnitaire étatique. On conviendra qu’un concept comportant deux idées aussi distinctes et de sens aussi éloignés ne correspond guère à l’unicité et à la nécessaire homogénéité normative d’un principe juridique.
Le RIFSEEP, comme avant lui la prime de fonction et de résultats et comme toute autre indemnité, ne doit pas être mis en oeuvre par les employeurs publics locaux dans des conditions plus favorables que celles qui s’appliquent aux agents de l’Etat. Le principe de parité concerne en effet toutes les catégories de régime indemnitaire, RIFSEEP compris. Mais la question renvoyée au Conseil constitutionnel par le Conseil d’Etat n’était pas celle de la parité énoncée à la première phrase de l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984. L’arrêt de renvoi du Conseil d’Etat précise que « seules les deuxième et troisième phrases du premier alinéa de l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984 (…) sont applicables au litige ». La deuxième phrase n’exprime qu’une faculté, contrairement à la troisième phrase qui prescrit que, lorsque les services de l’Etat servant de référence bénéficient d’une indemnité servie en deux parts, les organes délibérants déterminent les plafonds de chacune de ces deux parts sans dépasser le plafond global des primes octroyées aux agents de l’Etat. La question posée est en réalité celle de savoir si, dans le cadre de ce type de régime indemnitaire existant dans les services de l’Etat, les collectivités sont ou non tenues d’instituer les deux parts (en pratique la deuxième part) et si une telle obligation est conforme à la Constitution.
La réponse du Conseil constitutionnel est plutôt confuse et embarrassée. Il répond à la question posée en affirmant qu’elle ne concerne que la dernière phrase (la troisième) du premier alinéa de l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984 (considérant 3) mais il mélange ensuite (considérant 6) l’ensemble des trois phrases du premier alinéa de cet article, fait référence à une jurisprudence du Conseil d’Etat qu’on cherche vainement et examine les « dispositions contestées » (l’obligation d’instituer les deux parts du RIFSEEP) au regard d’une « certaine parité » qui ne veut pas dire grand-chose et qui ne correspond certainement pas au principe de parité, lequel se borne à limiter les rémunérations et les avantages qui leur sont assimilables à l’aune de ce qu’ils sont dans la fonction publique de l’Etat.
Il n’est certes ni contestable ni discuté que les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à tous. Mais cette supériorité constitutionnellement reconnue, est mieux établie et emporte davantage l’adhésion intellectuelle lorsqu’elle repose sur un raisonnement rigoureux et logique. Il faut bien reconnaître que tel n’est pas le cas présentement.
La mention de « la jurisprudence constante du Conseil d Etat » (considérant 6), relative à un régime indemnitaire de l’Etat dont les deux parts s’imposeraient aux collectivités territoriales ne laisse pas de surprendre. On ne voit pas à quelle jurisprudence il est fait allusion. A notre connaissance, il n’y a pas d’arrêt du Conseil d’Etat invoquant le principe de parité pour déterminer les conditions d’application aux fonctionnaires territoriaux de la prime de fonctions et de résultats (prime antérieure au RIFSEEP qui comprend également deux parts). Il existe en revanche quelques arrêts du Conseil d’Etat qui concernent l’instauration de cette prime pour la seule fonction publique de l’Etat, et un seul arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy où il est jugé que le principe de parité est méconnu parce que la délibération litigieuse applique la prime de fonctions et de résultats de manière anticipée à l’ensemble des agents de la collectivité, sans attendre l’édiction des arrêtés étatiques.
S’agissant des fondements des dispositions contestées, le Conseil constitutionnel évoque la mobilité. Certes, la mobilité entre les fonctions publiques constitue une garantie fondamentale de la carrière des fonctionnaires. Mais on ne voit pas en quoi un plafonnement des régimes indemnitaires, hors la facilité technique qu’il procure, inciterait à la mobilité. La mobilité vers une autre fonction publique serait au contraire plutôt favorisée par un régime indemnitaire plus favorable du côté de la fonction publique d’accueil. L’autre fondement serait la contribution à l’harmonisation des conditions de rémunération entre les fonctions publiques. Or, le juge administratif chasse avec constance l’idée qu’une telle exigence découle du principe de parité. Pour lui, il s’agit seulement d’un principe de plafonnement : de façon explicite, il écarte tout idée d’homologie.
En jugeant que les dispositions contestées (précisément celles de la troisième phrase du premier alinéa de l’article 88) visent à garantir « une certaine parité », le Conseil constitutionnel fait entrer dans un large concept de parité, des dispositions qui ne relèvent pas du principe juridique de parité, tel qu’il a été affirmé par le Conseil d’Etat et tel qu’il figure dans la seule première phrase de l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984.
En revanche, deux affirmations ne nous paraissent pas contestables. D’abord, celle (considérant 5) qui rappelle que la libre administration des collectivités territoriales permet au législateur de leur imposer des obligations et des charges, lorsque celles-ci répondent à des exigences constitutionnelles ou concourent à des fins d’intérêt général. Ensuite, celle (considérant 8)
La décision aurait été évidemment plus claire et plus exacte si, au lieu d’évoquer une parité entre les fonctions publiques qui ne concerne en réalité que le principe affirmé par la première phrase de l’article 88 et qui n’est pas en cause, le Conseil constitutionnel s’était astreint à préciser et à juger, de façon moins équivoque et plus convaincante, que c’est en tant que dispositions législatives que les deuxième et troisième phrases de l’article 88 imposent aux collectivités territoriales la structure dualiste du RIFSEEP et sont conformes à la Constitution.
Si on l’interprète ainsi, la décision du Conseil constitutionnel ne remet pas en cause le sens précis du principe de parité et ne porte pas atteinte à sa qualité de principe juridique. C’est donc à notre sens de cette façon qu’il convient de la lire.
Jacques FERSTENBERT
Professeur émérite (Université d’Orléans)
Avocat spécialiste de droit public
[1] Mais
aussi l’art. 21 de la loi n° 90-1067 du 28 nov. 1990
[2] CE 30
juin 2006, n° 243766
[3] N°
2018-727 QPC, 13 juill. 2018, Commune de Ploudiry
[4] L’art.
20 du décret du 2 mai 1938 étend cette règle aux établissements publics locaux
[5] CE 27
avril 1994, Assoc. de défense des ingénieurs territoriaux, n°
116043 : Les ingénieurs territoriaux réclamaient, au nom de la parité, de
bénéficier du taux maximum de 100% de la prime technique accordé aux ingénieurs
de l’Etat, au lieu du taux maximum de 40% prévu par le décret du 9 fév. 1990
qui leur était applicable.
[6] CE 20
mars 1992, Préfet du Calvados, Avis 131852. Il s’agira du décret n°
91-875 du 6 sept. 1991
[7] CE 29
avr. 2002, Synd. national des secrétaires généraux et directeurs généraux
des collectivités territoriales, n° 230630
[8] CE 25
sept. 2009, Union féd. des cadres des fonctions publiques CFE-CGC, n°
318505
[9] CAA Bordeaux
13 nov. 2017, n° 15BX01933
[10] CE 7
juin 2010, M. Laurent Jouannet, n° 312506
[11] CE 27
oct. 2008, Synd. intercommunal de Bellecombe, n° 293611
[12] CAA
Lyon 18 juillet 2013, n° 12LY02096
[13] CE 29
avr. 2002, Synd. National des secrétaires généraux et directeurs généraux
des collectivités territoriales, n° 230630
[14] CE 9
juin 2004, Coordination nationale des enseignants des écoles d’art, n°
257620
[15] CE 39
juin 2006, n° 243766
[16] CE 25
sept. 2009, Union féd. des cadres des fonctions publiques CFE-CGC, n°
318505
[17] CE 25
oct. 1996, Préfet du Morbihan, n° 143362
[18] CAA
Paris 5 mars 2002, Mme Déau, n° 99PA04268
[19] CAA
Bordeaux 28 mai 2001, Dép. des Pyrénées-Atlantiques, n° 97BX00169
[20] CAA
Versailles 14 déc. 2006, Dép. du Val d’Oise, n° 04VE03420
[21] CAA
Marseille 6 mars 2013, Commune de Nîmes, n° 10MA02791. V. également QE
n° 4437, JOAN du 27 mars 2018 : illégalité, au regard du principe de
parité car non prévue dans la fonction publique de l’Etat, d’une prime spéciale
d’assiduité au travail ou d’une part du RIFSEEP modulable sur le seul fondement
de l’état de santé des agents
[22] CE 2
déc. 1994, n° 147962
[23] TA
Orléans 12 nov. 1996, Préfet de la région Centre c/ Conseil régional du
Centre, n° 96440. V. pour les tickets ou titres restaurants : CAA
Nancy 1er févr. 2001, n° 96NC02990 ; CAA Bordeaux 19 févr.
2002, n° 98BX01415
[24] CE 28
juill. 1999, n° 171004
[25] Avis CE
1er févr. 2006, Préfet du Puy-de-Dôme c/ Commune Pont-du-Château,
n° 287656 ; V. également : CAA Douai 28 févr. 2006, Commune de
Calais, n° 04DA00599 ; CE 27 juin 2007, n° 292946
[26] Art.
88-1 de la loi du 26 janvier 1984
[27] CAA
Douai 27 mars 2012, Communauté d’agglomération du Calaisis, n°
10DA01514. Il en va de même d’un dispositif de remise systématique à l’ensemble
des agents d’un montant uniforme, sans condition tenant à la situation
personnelle ou familiale, sous forme de bons d’achats et de chèques cadeaux. Ceux-ci
risquent d’être requalifiés par le juge administratif en complément de
rémunération soumis au principe de parité (CAA Douai 12 juill. 2010, n°
10DA00611)
[28] TA
Amiens 4 nov. 2013, Préfet de l’Aisne c/ Synd. intercommunal des eaux de la
région de Wassigny,
n° 031079
[29] 3ème
alinéa de l’art. 111 de la loi du 26 janv. 1984
[30] 2ème
alinéa de l’art. 88 de la loi du 26 janv. 1984
[31] V. une
synthèse des contributions de la doctrine à la compréhension du concept de
principe juridique in Jacques FERSTENBERT, Recherche sur la notion de
spécialité des personnes publiques, PU Orléans, avril 2009, p. 381 et s.
[32] A.
Fitte-Duval, Le principe de parité entre fonctions publiques, RGCT 2001, n° 16,
p. 764
[33] J-M.
Auby, J-B. Auby, D. Jean-Pierre, A. Taillefait, Droit de la fonction publique,
Dalloz, 5ème éd. sept. 2005, n° 925
[34] B.
Jorion, Le principe de parité entre fonctions publiques, un principe en peau de
chagrin, RFDA mars-avril 1998, p. 346
[35] Décision précitée n° 2018-727 QPC
[36] CE du
18 mai 2018, n° 418726
[37] CE 9
oct. 2015, n° 371036 ; CE 6 avril
2016, n° 386762 ; CE 24 oct.2018, n° 405901
[38] CAA
Nancy 4 déc. 2014, Synd. CFTC des personnels du conseil général du Bas-Rhin
et du conseil régional d’Alsace, n° 13NC02170. Un arrêt de la CAA de
Marseille (5 déc. 2015, n° 14MA00690) évoque également la prime de fonctions et
de résultats pour affirmer, contrairement à ce que prétendent les requérants,
que la prime de responsabilité mise en place par la ville de Nîmes ne lui est
pas assimilable.
[39] Art. 14
de la loi du 13 juill. 1983
[40] CE 25
sept. 2009, préc.
[41] Voir
des exemples de telles obligations ou charges : Jacques FERSTENBERT, La libre
administration des collectivités territoriales : la création discutable
d’un principe constitutionnel, in Constitution et collectivités
territoriales, Lexis Nexis, mai 2019, p. 36 et Jacques FERSTENBERT, La libre
administration des collectivités territoriales : principe juridique ou
notion juridique ? Mélanges en l’honneur de Henri Jacquot, PU Orléans,
janv. 2006, pp. 246 et s.