CE, 14 juin 2019, Société Vinci construction maritime et fluvial, req. n° 411444, à paraître au Recueil
Le Conseil d’État précise sa jurisprudence « SNC Armor » (CE, Ass, 20 décembre 2014, SNC ARMOR, req n° 355563 : Rec. CE, p. 433), relative à la possibilité pour une collectivité territoriale ou un EPCI de candidater à un contrat de commande publique.
Le département de la Vendée avait engagé une procédure d’appel d’offres en vue de la réalisation de travaux de dragage, et avait attribué le marché au département de la Charente-Maritime.
La société requérante a contesté le rejet de son offre ainsi que la candidature du département de la Vendée.
Le tribunal administratif de Nantes avait rejeté sa requête, jugement confirmé par la Cour administrative d’appel de Nantes.
Le Conseil d’État rappelle en premier lieu que si aucun principe ni aucun texte ne fait obstacle à ce que ces collectivités ou leurs établissements publics de coopération se portent candidats à l’attribution d’un contrat de commande publique pour répondre aux besoins d’une autre personne publique, ils ne peuvent légalement présenter une telle candidature que si elle répond à un intérêt public local, c’est-à-dire si elle constitue le prolongement d’une mission de service public dont la collectivité ou l’établissement public de coopération a la charge, dans le but notamment d’amortir des équipements, de valoriser les moyens dont dispose le service ou d’assurer son équilibre financier, et sous réserve qu’elle ne compromette pas l’exercice de la mission.
En conséquence, la candidature répond à un intérêt public local lorsqu’elle constitue le prolongement d’une mission de service public dont la collectivité a la charge, notamment parce que l’attribution du contrat permettrait d’amortir des équipements dont dispose la collectivité.
L’arrêt précise que cet amortissement ne doit toutefois pas s’entendre dans un sens précisément comptable, mais plus largement comme traduisant l’intérêt qui s’attache à l’augmentation du taux d’utilisation des équipements de la collectivité, dès lors que ces derniers ne sont pas surdimensionnés par rapport à ses propres besoins.
En l’espèce, la drague acquise par le département de la Charente-Maritime, avait été dimensionnée pour faire face aux besoins et spécificités des ports de ce département mais n’est utilisée qu’une partie de l’année pour répondre à ces besoins.
Dès lors, le Conseil d’État considère que son utilisation hors du territoire départemental peut être regardée comme s’inscrivant dans le prolongement du service public de création, d’aménagement et d’exploitation des ports maritimes de pêche dont le département a la charge en application des dispositions de l’article L. 601-1 du code des ports maritimes, sans compromettre l’exercice de cette mission, une telle utilisation de cette drague permettant d’amortir l’équipement et de valoriser les moyens dont dispose, dans ce cadre, le service public de dragage de la Charente-Maritime.
Par suite, le moyen tiré de ce que la candidature du département de la Charente-Maritime n’aurait pas répondu à un intérêt public local est écarté.
L’arrêt précise en second lieu qu’une fois admise dans son principe, cette candidature ne doit pas fausser les conditions de la concurrence (CE, avis, 8 novembre 2000, Société Jean-Louis Bernard Consultants, n° 222208 : Rec. CE, p. 492).
En particulier, le prix proposé par la collectivité territoriale ou l’établissement public de coopération doit être déterminé en prenant en compte l’ensemble des coûts directs et indirects concourant à sa formation, sans que la collectivité publique bénéficie, pour le déterminer, d’un avantage découlant des ressources ou des moyens qui lui sont attribués au titre de ses missions de service public et à condition qu’elle puisse, si nécessaire, en justifier par ses documents comptables ou tout autre moyen d’information approprié.
L’arrêt précise enfin que ces règles s’appliquent sans préjudice des coopérations que les personnes publiques peuvent organiser entre elles, dans le cadre de relations distinctes de celles d’opérateurs intervenant sur un marché concurrentiel.
Lorsque le prix de l’offre d’une collectivité territoriale est nettement inférieur aux offres des autres candidats, il appartient au pouvoir adjudicateur de s’assurer, en demandant la production des documents nécessaires, que l’ensemble des coûts directs et indirects a été pris en compte pour fixer ce prix, afin que ne soient pas faussées les conditions de la concurrence.
Si l’offre de la collectivité est retenue et si le prix de l’offre est contesté dans le cadre d’un recours formé par un tiers, il appartient au juge administratif de vérifier que le pouvoir adjudicateur ne s’est pas fondé, pour retenir l’offre de la collectivité, sur un prix manifestement sous-estimé au regard de l’ensemble des coûts exposés et au vu des documents communiqués par la collectivité candidate.
En l’espèce, après avoir constaté que l’offre du département de la Charente-Maritime était inférieure tant à sa propre estimation qu’aux prix proposés par les deux entreprises ayant soumissionné, le département de Vendée a obtenu la production d’un sous-détail des prix, montrant que la différence de prix s’expliquait par l’utilisation d’une drague hydraulique aspiratrice équipée d’une benne pour stocker les déblais et les claper en mer, dont les rendements sont nettement supérieurs à l’utilisation de pelles sur pontons qui requièrent l’utilisation de chalands pour transporter les déblais.
En conséquence, le conseil d’État juge que le pouvoir adjudicateur a pu, sans sous-estimation manifeste, considérer, au vu de ce sous-détail des prix établi à partir de la comptabilité analytique du service, que l’ensemble des coûts, y compris les charges d’amortissement de la drague avaient été pris en compte pour la détermination du prix.Eric GINTRAND
Avocat associé