CE, 24 juin 2019, Département des Bouches-du-Rhône, req. n° 428866, à mentionner au Recueil
Dans le cadre de la procédure de la passation d’un marché public de travaux, le département des Bouches-du-Rhône avait informé une société candidate qu’elle était susceptible d’être exclue sur le fondement des dispositions des 2° et du 5° du I de l’article 48 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, si elle n’établissait pas, dans un délai de dix jours, que son professionnalisme et sa fiabilité ne pouvaient plus être remis en cause.
Le département avais mis en avant des éléments mettant en exergue le fait qu’une personne proche de la société et considérée comme son dirigeant de fait avait tenté d’influer indûment le processus décisionnel d’attribution des marchés publics passés par le département entre 2013 et mai 2016, conduisant à l’ouverture d’une information judiciaire dans laquelle le département s’était constitué partie civile, de sorte que cette situation créerait une situation de conflit d’intérêts vis-à-vis du département.
Par un courrier du 19 décembre 2018, la société avait fourni des explications et invité le département à abandonner son projet de l’exclure du marché.
Par une décision du 31 janvier 2019, le département a décidé d’exclure cette société du marché litigieux, au motif qu’elle n’avait pas apporté d’éléments relatifs à d’éventuelles mesures correctives mises en œuvre par la société et de nature à établir que son professionnalisme et sa fiabilité ne pouvaient plus être remis en cause pour la procédure en cours.
Le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a annulé la décision ainsi que la procédure de passation des lots n° 3 et 4 du marché au motif que les dispositions du 2° du I de l’article 48 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 visant les personnes ayant cherché à influer sur le processus décisionnel de l’acheteur lors de la procédure de passation du marché public du marché public ne pouvaient s’appliquer à des agissements constatés à l’occasion de précédentes procédures de passation (TA Marseille, Ord., 28 février 2019, req. n° 1900902).
En cassation, le Conseil d’État juge au contraire que les dispositions des articles 45 à 50 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics permettent aux acheteurs d’exclure de la procédure de passation d’un marché public une personne qui peut être regardée, au vu d’éléments précis et circonstanciés, comme ayant, dans le cadre de la procédure de passation en cause ou dans le cadre d’autres procédures récentes de la commande publique, entrepris d’influencer la prise de décision de l’acheteur et qui n’a pas établi, en réponse à la demande que l’acheteur lui a adressée à cette fin, que son professionnalisme et sa fiabilité ne peuvent plus être mis en cause et que sa participation à la procédure n’est pas de nature à porter atteinte à l’égalité de traitement entre les candidats.
Jugeant l’affaire au fond, il considère que le fait qu’une personne regardée comme le gestionnaire de fait de cette société ait été mise en examen pour avoir entrepris d’influer indûment sur le processus décisionnel du département lors de la passation de marchés de travaux entre 2013 et 2016 et qu’une information judiciaire avait été ouverte, dans laquelle le département s’était constitué partie civile, pouvait le conduire à avoir des raisons de mettre en doute la probité du candidat et de craindre pour la régularité de la procédure en cours.
Il juge qu’en se bornant à contester l’interprétation du département sur la portée de l’article 48 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et à indiquer ne pas connaître l’identité de la personne présentée comme son gestionnaire de fait, la société n’a pas produit d’éléments de nature à établir que son professionnalisme et sa fiabilité ne pourraient plus être remis en cause.
En conséquence, il juge que le moyen tiré de ce que le département était fondé à exclure la société EGBTI du marché litigieux en s’appuyant sur les dispositions du 2° du I de l’article 48 de l’ordonnance du 23 juillet 2015.
En revanche, il considère que la circonstance que le département se soit porté partie civile dans une procédure pénale dans laquelle une personne présentée comme le gérant de fait de la société a été mise en examen n’est pas susceptible de caractériser une situation de conflit d’intérêts, au sens des dispositions du 5° du I de l’article 48 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, entre le département et cette société dans le cadre de la procédure de passation du marché litigieux.
À noter que les dispositions de l’article 48 2° de l’ordonnance du 23 juillet 2015 figurent désormais à l’article L.2341-8 du code de la commande publique.
Eric GINTRAND, Avocat associé.