CE, 12 octobre 2020, Société Mersen et autres, req. n°s 432981 433423 433477 433563 433564, à mentionner aux tables du Recueil

Saisi par la SNCF d’une action responsabilité contre des entreprises condamnées pour entente, le Conseil d’État commence par régler la question de la compétence juridictionnelle en relevant, conformément à sa jurisprudence, qu’un litige ayant pour objet l’engagement de la responsabilité quasi-délictuelle de sociétés en raison d’agissements dolosifs susceptibles d’avoir conduit une personne publique à contracter avec l’une d’entre elles, à des conditions de prix désavantageuses, qui tend à la réparation d’un préjudice né du contrat lui-même et résultant de la différence éventuelle entre les termes du marché effectivement conclu et ceux auxquels il aurait dû l’être dans des conditions normales, relève de la compétence des juridictions administratives (CE, 27 mars 2020, Société Lacroix signalisation, req. n° 421758, à publier au Recueil).

Il traite ensuite de la question de la prescription de l’action devant le juge administratif en rappelant :

Que jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, les actions fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle des auteurs de pratiques anticoncurrentielles se prescrivaient, sur le fondement de l’article 2270-1 du code civil, par dix ans à compter de la manifestation du dommage.

Qu’après l’entrée en vigueur de cette loi et jusqu’à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017, l’article 2224 du code civil prévoit que ces actions se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu les faits lui permettant de les exercer.

Enfin, que selon le II de l’article 26 de la loi, les dispositions qui réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Au cas d’espèce, il juge que la cour administrative d’appel de Paris a souverainement relevé, sans dénaturer les pièces du dossier, que la décision de la Commission européenne sanctionnant l’entente constituée des sociétés Conradty, Hoffmann et Co. Elektrokohle AG, Le Carbone Lorraine, désormais appelée Mersen, Schunk GmbH, Schunk Kohlenstofftechnik GmbH, SGL Carbon AG, désormais appelée SGL Carbon SE et de la société Morgan crucible company PLC, a été publiée le 28 avril 2004.

Elle n’a donc pas, en conséquence, commis d’erreur de droit ni entaché son appréciation d’une dénaturation en jugeant, par un arrêt suffisamment motivé, que, dans les circonstances de l’espèce, le délai de prescription décennale prévu par l’article 2270-1 du code civil alors en vigueur avait commencé à courir à compter de cette publication, la SNCF ayant alors connaissance de manière suffisamment certaine de l’étendue des pratiques anticoncurrentielles dont elle avait été victime de la part des membres de l’entente.

Le délai de dix ans fixé par les dispositions de l’article 2270-1 du code civil expirant ainsi le 27 avril 2014, au-delà de la date d’expiration du nouveau délai de prescription de cinq ans fixé à l’article 2224 du code civil, qui avait commencé à courir le 19 juin 2008, le lendemain de la publication de la loi du 17 juin 2008 au Journal officiel, les délais de prescription expiraient ainsi le 18 juin 2013.

En en déduisant que lorsque le 18 juin 2013, la SNCF a saisi le tribunal administratif de Paris, son action n’était pas prescrite, la cour administrative d’appel de Paris n’a pas entaché son arrêt d’erreurs de droit.

Sur le fond, il juge qu’une décision de la Commission européenne sanctionnant une entente, lorsqu’elle n’a pas été annulée par les juridictions de l’Union européenne, suffit à établir l’existence des manœuvres dolosives des entreprises impliquées dans cette entente.

Dans ce cas, les entreprises dont les pratiques anticoncurrentielles ont eu pour effet d’augmenter le prix de marchés conclus par leurs victimes sont susceptibles d’engager leur responsabilité du fait de ce surcoût, alors même que ces marchés ont été conclus avec des entreprises ne participant pas à cette entente.

Eric GINTRAND
Avocat associé

N'hésitez pas à partager cette actualité :

Découvrez nos autres actualités :